Tête de Voltaire par Huber

Débat 7. Voltaire et la musique

Débat coordonné par Rémy-Michel Trotier

Si l’on part du constat qu’il n’était pas lui-même musicien, et ne savait sans doute pas lire la musique, qu’il n’entreprit pas, contrairement à d’autres (D’Alembert, Rousseau), d’en théoriser l’expression, qu’il produisit assez peu – échouant à maintes reprises à l’opéra – d’ouvrages destinés au chant, et s’abstint d’une fréquentation assidue des cercles musicaux de son temps, on pourrait former l’opinion que Voltaire, finalement, n’aimait guère la musique. Il fut cependant le compagnon, toute sa vie durant, de musiciens et musiciennes parfois considérables: sa sœur, son parrain l’abbé de Châteauneuf, son amie Mme Du Châtelet, sa nièce Mme Denis, le roi Frédéric II enfin, non seulement l’entourèrent de leur pratique musicale mais nourrirent aussi souvent sa pensée critique sur cet art. Si Voltaire ne pouvait composer, il fut le parolier d’innombrables chansons, genre qu’il affectionnait et dont il collectionnait les recueils. À l’opéra, il s’obstina, jusqu’à réussir par deux fois avec Rameau, et au-delà; il y rêvait de «belles fêtes», entendant par là qu’il fallait surtout laisser place à ces moments où le drame importe moins, par rapport au flux ininterrompu de chants et de danses qui en constituaient l’attrait principal. Et ce rêve d’un art total nimba peu à peu la conception de ses tragédies, comme un écho à celles des Grecs, fantasme d’un genre où tout, de la construction d’ensemble au détail de la déclamation, serait musical. Face à tous ces éléments, une opinion nouvelle émerge, qui fait de Voltaire un auteur souvent sensible à la musique, constamment soucieux de son usage, parfois peut-être fasciné par elle.

La critique voltairienne, naviguant entre ces deux extrêmes, tend désormais à confirmer les liens – certes épars, souvent cachés et complexes, voire tortueux, mais aussi constants, quelquefois cruciaux et toujours subtils de Voltaire avec l’art musical. L’ouvrage d’Edmond Vander Straeten (Voltaire musicien, 1878), quoique daté dans ses formulations et erroné dans sa documentation, avait mis à jour le caractère multiple de cette relation. Plus récemment, les travaux d’édition de l’œuvre et de la correspondance (Voltaire Foundation essentiellement), ceux consacrés à l’esthétique voltairienne (Naves, 1938; Mat-Hasquin, 1982; Menant, 1995; Schneider, 2006-2007) ou à son inscription dans le contexte intellectuel et artistique qui l’influençait (Kintzler, 1981; Didier, 1985) ont réactivé le débat, avec une première somme de réflexions publiée dans la Revue Voltaire (2013) – qui réaffirme toutefois l’impossibilité à aborder frontalement les rapports de Voltaire et la musique. C’est dans le domaine de l’opéra enfin que les années récentes ont été le plus prolifiques, avec la multiplication des études de cas où les travaux des musicologues (Trotier, 2006; Dubruque, 2014) font écho à ceux des littéraires (Ferrier, 2011; Roussillon, 2012), tandis qu’un volume des Classiques Garnier est tout entier consacré à Voltaire à l’opéra (2011).

Par rapport à ces nouvelles perspectives, et pour dépasser la difficulté induite par la rareté des rapports directs du littérateur à l’art musical, nous proposons ici de déplacer légèrement le débat, pour nous intéresser non pas à Voltaire musicien (ce qu’il ne fut, donc, assurément pas) mais à Voltaire musical – avec un déplacement réflexif qui inciterait non pas tant à partir sur les relations de Voltaire avec la musique, les musicien·ne·s et les institutions musicales de son temps, mais plutôt à se demander ce qui, dans la production de Voltaire, peut être qualifié de «musical» (ou de «non-musical»). On pourra ainsi:

– revenir aux questions liées à la versification pour se demander s’il y a en soi une musique dans les vers voltairiens, qu’il s’agisse de ses poésies ou de ses drames; le témoignage de comédiens ayant joué ses œuvres, par exemple, serait ici précieux;

– regarder aussi les œuvres de lui qui ont effectivement été mises en musique (opéras mais aussi divertissements, poèmes, odes, etc.): le texte s’y prête-t-il? fait-il au contraire violence à la prosodie musicale? Examiner des partitions, interroger des chanteurs;

– ré-interroger sa production théâtrale pour identifier à la fois la place faite à la musique (on commence à savoir ce qui se jouait à la Comédie-Française pendant les pièces, et à mesurer l’impact des réformes théâtrales de Voltaire sur le choix, par cette institution, des musiques d’accompagnement), mais aussi ce qu’il peut y avoir de musical (d’opératique) en soi dans leur construction dramatique, prolongeant ainsi la thèse étonnante de l’article de Pierre Frantz, «L’opéra au secours du théâtre»;

– revisiter les opéras pour y chercher ce que Voltaire, indépendamment des compositeurs qui l’ont mis en musique, avait dès leur conception insufflé de musical (ou de non-musical) dans leur déploiement; étendre cette recherche aux nombreuses tragédies plus tard transformées en opéras.

– chercher enfin ce qu’il peut y avoir de musicalité, aussi bien dans les œuvres où de la musique est prévue que là où il n’y en avait pas; et prendre, finalement, la définition de Berio: «est musique ce que je décide d’écouter comme de la musique», pour relire (à haute voix?) La Henriade, Zadig, les Mémoires ou même le Dictionnaire philosophique.

Toutes contributions, de toutes natures et de toutes formes pourvu qu’elles soient suffisamment argumentées, sont les bienvenues; elles feront l’objet de publications thématisées dans les prochains numéros des Cahiers Voltaire, et ce dès 2018. On se reportera aux numéros précédents pour se faire une idée concrète des débats déjà menés et des types de contribution souhaités. Le texte peut être de portée générale, mais il peut aussi traiter à fond d’un exemple caractéristique; la mise en forme doit tendre à une certaine densité pour permettre un accueil large des points de vue; la rédaction pourra réduire au minimum les rappels érudits et les notes critiques, notamment par l’intégration au texte même des passages cités et de leurs références.

Pour chaque parution annuelle, la date limite d’envoi des livraisons finales est le 28 février. Toutefois, ce débat devant être reconduite sur plusieurs numéros de la revue, et afin de nous permettre d’organiser au mieux les futures parutions, les contributeur·trice·s sont encouragé·e·s à formuler dès que possible des propositions assez brèves (esquisse, note d’intention) qu’elles·ils pourront par la suite développer, étoffer ou compléter à leur guise, en particulier lors de leur mise en regard avec d’autres au sein d’une même thématique particulière.

Les personnes intéressées sont ainsi invitées à contacter sans délai Rémy-Michel Trotier à l’adresse: voltairemusical@online.fr.

Amorce bibliographique

Béatrice Didier, La Musique des Lumières, Paris, PUF, 1985.

Julien Dubruque, Édition critique, histoire, genèse et esthétique des deux versions du Temple de la Gloire de Voltaire et Rameau, thèse de doctorat en musicologie, sous la direction de Sylvie Bouissou, soutenue le 16 décembre 2014 à Tours ; à paraître.

François Jacob (dir.), Voltaire à l’opéra, Paris, Classiques Garnier, coll. « L’Europe des Lumières », 2011. Avec en particulier :
– Pierre Frantz, «L’opéra au secours du théâtre», p. 21-34.
– Béatrice Ferrier, «Un chef d’œuvre inconnu: l’opéra de Samson», p. 51-79.

Catherine Kintzler, «Rameau et Voltaire: les enjeux théoriques d’une collaboration orageuse », Revue de musicologie 2 , 1981, p. 139-166.

Michèle Mat-Hasquin, «Voltaire et l’opéra: théorie et pratique», L’Opéra au dix-huitième siècle, Marseille, Laffitte, 1982, p. 527-546.

Sylvain Menant, L’Esthétique de Voltaire, Paris, SEDES, 1995.

Guillaume Métayer (dir.), Voltaire et la musique, Revue Voltaire 13, 2013. Avec en particulier:
– Guillaume Métayer, «Voltaire et la musique, ou l’empire du verbe», p. 11-17.
– Béatrice Didier, «Voltaire et la crise du poème lyrique», p. 19-29.
– Judith le Blanc, «Voltaire parodiste ou la dramaturgie musicale de La Fête de Bélesbat», p. 31-47.
– Christophe Paillard, «Voltaire chanteur, chanté et chansonnier: la chanson dans l’esthétique voltairienne», p. 49-67.
– Martin Wåhlberg, «Voltaire critique musical dans sa correspondance», p. 69-78.
– Mark Darlow, «“Malgré tous les Gluck du monde”: Voltaire et la réforme de l’opéra», p. 79-94.

Raymond Naves, Le Goût de Voltaire, Paris, Garnier, [1938].

Marine Roussillon, «La Princesse de Navarre, comédie-ballet. Enjeux d’une résurrection», communication présentée lors des journées Voltaire de juin 2012, à paraître.

Herbert Schneider, «Voltaire als Librettist», Musicorum 5, 2006-2007, p. 153-182.

Rémy-Michel Trotier, Rapports de la musique au texte dans Samson de Voltaire et Rameau, Prolégomènes à l’exercice de reconstitution-reconstruction, mémoire de maîtrise soutenu à l’Université de Paris Sorbonne, sous la direction de Raphaëlle Legrand, 2006.

Edmond Vander Straeten, Voltaire musicien, Paris, J. Baur, 1878.

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